En Octobre de l'année dernière j'étais déjà à Dijon. Je me souviens, c'était la veille d'un jour de grève, un mouvement social important. Arrivée en fin d'après-midi, je suis allée à mon hôtel déposer ma valise. Il était environ 19h. Dans cette chambre anonyme, j'ai rapidement opté pour une flânerie dijonnaise, sous une douce lumière crépusculaire. J'ai déambulé dans les ruelles, pavées de chouettes cuivrées, dorées, emblèmes de la ville. L'une d'elles, située rue de la chouette, se caresse, l'espérance d'une protection contre le mauvais sort. J'avais juste regardé toutes ces chouettes qui jalonnaient mes pas. Chouette invitation.
J'ai flâné, me suis arrêtée à un bistrot dijonnais, un peu bougnat, sur la petite place d'une rue piétonne. Le patron accueillant m'a servi un verre de vin de Bourgogne. J'étais là, regardant les passants, et je me suis dit avec conviction que sans doute quelqu'un m'adresserait la parole.
Un jeune homme est passé, s'est assis à une table, derrière moi. Rapidement il m'a demandé si je connaissais la ville et m'a expliqué qu'il était en stage, ne connaissait pas la ville. Nous avons situé chacun le sens de notre séjour à Dijon: il était en stage, moi même formatrice, dans des domaines très différents. Nous avons échangé sur notre activité professionnelle.
La lumière du jour diminuant, il était temps d'aller diner. Nous sommes partis diner ensemble, naturellement, sans trop savoir où aller, ignorant tout de l'univers dijonnais.
Nous avons parlé toute la soirée de notre vie, nos parcours, nos voyages, nos projets, nos préoccupations. Cette rencontre pour moi est inoubliable dans sa simplicité et son authenticité.
Nos différences, marquées par notre âge, notre mode de vie, étaient source de curiosité, de richesse. Nous nous sentions avant tout dans notre mêmitude. Cela fait un peu pompeux mais c'est difficile de dire avec des mots cette sensation de proximité avec l'autre, celui qui a-priori n'a pas de point commun. Ce sentiment d'une grande disponibilité à l'autre, dans un temps de rencontre, suspendu, éphémère m'a paru inattendu. Comme si une rencontre banale devenait extra-ordinaire du fait de sa rareté, tant dans le contexte que dans sa spontanéité.
La singularité de cette rencontre est qu'il ne s'est rien passé de plus et que cet échange n'était pas dans une séduction ni programmée, ni envisagée de part et d'autre. Ce jeune jurassien et cette parisienne, échoués là ont créés un espace-temps suspendu, au delà de tout soupçon...
Je me sens de passage dans ces villes où je dois vivre, juste quelques jours, le temps de mon intervention. J'y reviens et je construis mes repères. Je retrouve le même hotel, mais y reste toujours inconnue. Ni touriste, ni en vacances, ni résidente, je me sens une habituée, en marge. Je continue à m'y perdre, à tourner en rond, à découvrir des trésors de lumière, d'architecture. Ce soir je suis retournée dans ce café. En solitaire, j'ai regardé les passants, au fil de mes pensées flottantes, cette rencontre inhabituelle m'est revenue et j'ai caressé la chouette emblématique, dans un élan furtif.
"L'homme seul est toujours en mauvaise compagnie"Paul Valéry.