" Ecrire c'est une respiration!"
Julien Green
Une semaine de formation à l'animation d'ateliers d'écriture, un temps suspendu, jubilatoire, foisonnant. Nous étions 10 à s'écouter, lire nos textes, questionner, chercher, écrire, rire, échanger nos trouvailles de lecture, s'émerveiller des écrits, si variés. Belle surprise cette aventure formative, à l'aube de mes vacances.
Je vous fais partager une de mes écritures, dont la proposition était: A partir d'une incipit, laissez filer, aller à la rencontre de l' écriture qu'elle appelle.
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D'un seul coup, le ciel se minéralisa, il se fit schiste bleu de nuit.
Le silence se faisait tonitruant dans l'atelier. Elle s'arrêta, le geste suspendu et s'approcha de la fenêtre. La pluie, suspendue elle aussi, aux atermoiements des cieux.
- Un instant. Tu peux faire une pause.
Le modèle, un jeune homme timide, mit sa chemise avec indolence. Il inspira une bouffée d'air, frôla l'artiste.
- Il va pleuvoir, c'est sûr.
Elle ébaucha un sourire.
- Avant qu'il ne pleuve, je voudrais que tu t'installes sur la terrasse. Juste une pause de dix minutes. Le bleu, je veux trouver ce bleu.
- Je peux garder ma chemise?
- Bien sûr.
Sa palette ressemblait à une terre lunaire sur laquelle des cratères de couleur se juxtaposaient. Bleu Roy, bleu turquoise, bleu de Prusse, un monticule de blanc, une touche de jaune. Séréna s'agrippa fermement à sa palette et d'un geste affirmé recouvrit le nu académique, à peine terminé. Son corps suivait la courbe de son pinceau. De quelques lignes noires, elle figura la silhouette du modèle en chemise bleu ciel, le détail du visage, les mains posées sur les accoudoirs, la tête légèrement penchée.
Quelque chose clochait.
Ce jeune homme l'agaçait, il était de trop.
- Tu peux rentrer, si tu veux, je vais poursuivre dehors.
Enfin seule. Il n'allait pas tarder à pleuvoir. L'odeur de la pluie s'insufflait déjà dans l'atmosphère humide. Son regard s'arrima au bleu nuit du ciel, qui devint noir. En un éclair, sa toile se couvrit de bleu Prusse. Elle ne maîtrisait plus son geste, les ellipses de ses pensées formaient un entrelacs de lignes, de courbes.
Il était là, derrière elle, à l'observer , sans le moindre souffle.
Elle creva la coquille de blanc avec son pouce, et impulsivement, une lumière émergea du bleu nuit de la toile.
Il osa - Ca te ressemble.
En un quart de tour elle s'incrusta dans ses yeux.
- Tu peux me donner le tube de blanc?
Il acquiesça. Une coulée de lave blanche, toute fraîche sortie du tube, se déversa et inocula la matière bleuie. Elle avait trop chaud. Durant cette nuit là, sa frénésie l'emporta loin d'elle-même.
La pluie cinglait sur les vitres depuis déjà deux heures quand l'horloge afficha 6 heures. Le ciel était toujours aussi obscur, gris anthracite.
Quelque chose clochait.
Rémi s'était endormi sur le sofa, depuis longtemps. Elle avait achevé, pour un temps seulement, son œuvre. Elle se recula, chercha plusieurs points de vue pour regarder le tableau. Epuisée, saisie d'une certaine satisfaction, elle l'entendit lui chuchoter.
- Le jour ne se lève pas…
Ce serait le titre de sa peinture. Elle vacilla entre le mystère du bleu de Prusse et la frayeur de cette nuit immobile.
Bonne semaine
LN