Cette après-midi je me suis accordée une flânerie au Musée d’art Moderne, avec mes filles. Nous avons eu le plaisir de voir, dès le premier jour, l’exposition consacrée à Jean-Michel Basquiat, que vous pouvez voir jusqu’au 30 Janvier 2011.
J’ai découvert Basquiat, il y a quelques années, lors d’une exposition au Musée Maillol, lieu intimiste, feutré. Je fus bouleversée par ces œuvres énigmatiques, dont la profusion de signes intraduisibles soulignait l’inaccessibilité du sens de l’œuvre au-delà de ma perception sensorielle. En continuité, ma fille, alors fascinée par l’auteur, prépara une recherche sur l’artiste, dont je reprends certains extraits.
En décryptant l’un de ses tableaux, Mitchell Crew, je poursuivis ma découverte.
L’exposition présentée aujourd’hui est plus évènementielle, regroupe des tableaux venus des quatre coins du monde. L’espace est très large, de grandes allées, de grands murs blancs.
J’ai eu du mal à rentrer dans les tableaux. L’univers Basquiat nécessite de s’y fondre en intériorité, une aventure entre lui et le spectateur. Il entraine notre regard dans un tourbillon où chaque recoin de la toile recèle d’infimes secrets. Il pratique une peinture « signe » complexe, grouillante et frénétique.
La multiplicité d’éléments picturaux disséminés dans l’espace de la toile donne l’impression d’une explosion, d’un chaos. Néanmoins, cet apparent désordre est parfaitement ordonné selon une logique et une rigueur formelles, modernistes qu’on observe dans la composition, de nombreux éléments se répondent.
La profusion de multiples signes (écriture, dessins, signes géométriques, figurations, traits, « gribouillis », etc.) traduit la multiplicité stylistique et linguistique propre au postmodernisme qui s’oppose à la simplicité et à l’unicité du style moderne.
Le mouvement postmoderne « Bad Painting » apparaît aux Etats-Unis à partir de 1978 et se développe au cours des années 80. Signifiant littéralement «mauvaise peinture », cette expression ironique et volontairement polémique désigne un art en marge des canons esthétiques : contestation du bon goût puritain et de l’élitisme, il renonce au style et à l’invention, au profit du quelconque et du banal. Peinture figurative, sinon narrative, elle entend réhabiliter la « sous-culture ». S’inspirant de références urbaines (graffitis par exemple) ou de sujets académiques, l’iconographie du Bad painting nourrit un désir d’expression spontanée, en marge d’un système artistique jugé répressif. Les artistes de ce mouvement réagissent contre l’idée d’une mort annoncée de la peinture. Ils pratiquent une peinture figurative, baroque, surchargée en couleur, ne respectant aucune des règles classiques de composition, utilisant des matériaux divers collés sur toile ou sur bois.
La dimension impénétrable de son œuvre, les éléments picturaux incongrus et complexes et les iconographies énigmatiques peuvent aussi être rapprochés des surréalistes qui exploraient l’inconscient, le hasard, le primaire.
La notion de mort est omniprésente dans l’œuvre de BASQUIAT, quelle soit simplement suggérée ou clairement représentée. En effet, cet artiste développe au cours de sa carrière artistique une quasi obsession pour la mort précoce. Ironie du sort ou choix volontaire, Jean-Michel BASQUIAT mourra à seulement 27 ans d’une overdose. La mort est d’ailleurs présente dès ses premières œuvres, soit à travers les nombreuses têtes de mort qui peuplent ses toiles ou encore à travers les textes, les mots ou les multiples croix qu’il aime représenter dans ses tableaux.
Cependant, même si la mort occupe une place majeure dans l’œuvre de Jean-Michel BASQUIAT, elle est ponctuée par de frénétiques touches de vie, et opposée à un mouvement perpétuel et puissant qui incarne la vie elle-même. BASQUIAT exprime la vie, notamment grâce aux couleurs, qui sont une de ses grandes forces. Avec un talent de peintre abstrait, il utilise la couleur pure comme élément structurel mais en la mettant toutefois au service d’une démarche narrative et figurative, exprimée à la fois par une touche directe et théâtralement maladroite.
Comme un voyage dans l’urbanité New-Yorkaise, une chaloupée sur un océan de signes, une rafale qui nous fait chavirer à la frontière de l’imaginaire du peintre.
Quand le chaos nous enivre, sans risque de s’y perdre…
LN