Clin d'œil hystérique...C'est celui d'Augustine, sa paupière semble cousue, recouvrant sa pupille.
Clin d'œil historique...Nous sommes en 1873. Augustine entre à l’hôpital la Pitié-Salpêtrière, dans le service du Docteur Charcot, clinicien, neurologue français, fondateur de École de la Salpêtrière qui va consacrer ses recherches à l’hystérie et l’hypnose. Le terme d'hystérie vient du médecin grec Hippocrate, dérivé du mot grec hystera, signifiant l'utérus. Au Moyen Age, les hystériques étaient considérées comme des sorcières, possédées par le diable et souvent brûlées. Le Docteur Charcot va rompre avec cette diabolisation pour tenter de comprendre et étudier les mécanismes des symptômes hystériques. Charcot déclare que les symptômes hystériques sont dus à un « choc » traumatique provoquant une dissociation de la conscience, et dont le souvenir, du fait même, reste inconscient ou subconscient. L'hystérie est une névrose aux tableaux cliniques variés, où le conflit psychique s'exprime par des manifestations fonctionnelles (anesthésies, paralysies, cécité, contractures...) sans lésion organique, des crises émotionnelles avec théâtralisme, des phobies.
Mais venons-en au film.
Le décor, les costumes, les ambiances tant dans les scènes de l'hôpital que les intérieurs de la bourgeoisie dépeignent un tableau du 19ème siècle, d'une belle tonalité automnale. Vincent Lindon est très juste dans le personnage de Charcot, et Augustine magistralement interprétée par Soko, chanteuse pop de la scène française. Néanmoins ma critique à chaud était plutôt teintée d'une déception et d'un agacement dus à des longueurs, à la représentation réductrice voire erronée de la psychanalyse, le discrédit de Charcot, l'hypnose présentée comme une réponse magique etc.
Après une réflexion partagée avec mon crapaud (prince réincarné:)), une mise à distance de nos réactions hâtives, nos recherches approfondies, voici une critique plus élaborée, plus compréhensive de l'intention de ce film.
Le film dépasse le contexte historique et scientifique pour s'intéresser à la relation entre Augustine et Charcot. Structurée autour de cette relation, le film souligne les reliefs de cette relation empreinte de domination, de séduction. Cette relation de transfert va déclencher chez Augustine le déplacement de ses symptômes, puis leur disparition. Comme ses consœurs, Augustine attend son tour pour être examinée, touchée par Charcot, identifié au médecin-sorcier, guérisseur, messianique qui va les délivrer de leur mal. Avec froideur, distance, déshumanisation, il observe ces corps féminins, qu'il met à nu, sans compassion. Lors des fameuses « Leçons du mardi » ouvertes au tout public, qui attirent le tout-Paris scientifique et mondain, Charcot exhibe ces corps, utilisant l'hypnose pour suggérer aux femmes une crise, afin qu'il puisse observer, photographier et faire la démonstration que les symptômes prennent leur source et leur sens dans l'inconscient. Lors de ses crises, le corps convulse, se tord, s'enroule, se crispe, se contracte, semble se démembrer... Tout vient de l'origine du monde, qui gronde, extirpant des râles et des souffles envoûtés, sensuels... Le désir sexuel féminin, inassouvi, créerait une frustration, que les crises libèrent momentanément, pour ensuite bloquer la pulsion. La femme peut souffrir alors de paralysie, la main en griffe, de clin d'œil hystérique, d'insensibilité ou d'hypersensibilité.
Augustine, l'une de ses favorites, va inverser le rapport de domination, réveiller le désir charnel de l'homme, le mettre à jour et prendre le dessus. Charcot, l'amant, va permettre à Augustine d'advenir comme sujet. Reconnue femme, libérée de ses symptômes, elle laisse Charcot sous l'emprise de son désir suspendu, prisonnier de son carcan social et de ses ambitions.
Si vous souhaitez approfondir l'étude de ce film et son propos, je vous conseille ce dossier très intéressant, riche et pédagogique.
Bon Film
LN