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12 décembre 2010 7 12 /12 /décembre /2010 18:59

Theatre-1---L-Asile-De-Norwich-blog.jpg

 

La Haute Cour investit le théâtre de l’asile. Dans ce prétoire improvisé, six grandes fenêtres laissent filtrer des éclats crépusculaires. Le jour s’effrite sur l’arc de lune. Des stries de lumière zèbrent le sol, trébuchent sur les fauteuils, teintent la pièce d’une clarté sibylline. Le plafond en dôme, surplombe 20 rangées de fauteuils, d’un cuir poreux, lacérés, alignés de chaque coté d’une allée centrale. A l’orchestre, les sièges en cuir défoncés, se soudent les coudes. Au balcon, il ne reste plus que quelques fauteuils éventrés, arrachés du sol.

Sur l’aile gauche de la scène, un piano recouvert d’une poudre cendrée, qui atténue le noir et blanc des touches, évoque le fantôme d’une musicalité défunte. Le rideau est levé. Sur le devant de la scène, s’ordonnent en une seule ligne droite, onze coussins noirs et ronds. En arrière-plan, sur une table basse vermoulue, en bois écaillé, est posé un grand livre vert et un encrier de céramique.

 

Il est 19h 02. Le cadran sub-solaire se connecte sur la lune. Mijoty ouvre la procession, suivie de dix ombres, sous capes noires. Le Scribe-Parfait ferme la marche et s’installe sur la scène, en retrait, prêt à consigner les débats dans sa mémoire.

 

Trekaï est déjà installé au cinquième rang, défiant d’un regard rogue ses accusateurs. Il ne s’est encore jamais assis du mauvais coté, sur ces fauteuils déglingués. Il choisit celui au bord de l’allée centrale. En familier de ce lieu, pour y avoir présidé plusieurs audiences, il maîtrise tous les actes de procédure.

Il se souvient avec amertume du procès de la mère de Mijoty. Il tenta de l’épargner, de la défendre, mais les jurés tranchèrent et leur sentence fut irrévocable. Il reprit tout le code, chercha en vain un arrêt de jurisprudence, fouilla la mémoire des affaires de la Communauté. Aucun vice de forme, aucun cas d’école pour justifier les actes de la coupable. Face à ce vide juridique, il plaida son innocence, sa bonne foi, son fort engagement dans la survie du groupe. Mijoty, au premier rang, le supplia de son regard candide. Après le jugement, elle s’enflamma, répandit sa rage d’enfant. Sa mère d’un geste naturel, l’apaisa d’un sourire désabusé. Puis, elle subit la sentence : radiée et expulsée, elle vivrait en errante dans les tunnels des cieux. Elle devait disparaître à jamais. Depuis lors, pas un jour ne passe, sans que Mijoty n’attende un signe de sa mère.

 

Aujourd’hui, Trekaï s’attend à une condamnation sévère. Les assesseurs l’ont trop longtemps envié de sa position prestigieuse, pour ne pas envisager enfin, l’heure de la vengeance. L’occasion est trop belle de l’évincer, le réduire, l’humilier. Il ne peut compter que sur la clémence de Mijoty, mais l’alliée d’hier est devenue son pire adversaire. Il n’est plus sûr de personne. L’inculpé peut se faire accompagner d’un confrère, mais il est venu seul. Aucun spectateur en dehors de l’accusé et d’une ombre feutrée au dernier rang : un doyen garant du strict respect des règles de l’instruction et du bon déroulement de l’audience. Dura lex, sed lex : La loi est dure, mais c’est la loi.

 

Mijoty s’assied au centre de la scène. D’un mouvement de tête, elle engage ses assesseurs à prendre place. Ses assistants se tiennent comme elle, assis en lotus, sur les coussins, le corps très droit, le regard dans le vide, tourné vers le fond de la salle. La nuit tombée, l’ombre du fond de la salle s’avance pour allumer les photophores, où dansent les flammes vacillantes de bougies rouges, une devant chaque juré. Trekaï reste inaccessible aux regards. Sa silhouette révèle néanmoins son agitation fébrile, agacée. Un cierge planté sur un support de fer forgé, est placé à proximité de l’accusé. Les lueurs sont la seule vibration de l’assistance.

 

La doyenne prend la parole et sa voix résonne dans l’hémicycle, tandis que les regards convergent vers le cinquième rang. Trekaï ne cille pas. Ses pupilles plongent dans chaque terme prononcé, tentant d’en déjouer le cours. Après avoir rappelé les règles de la Haute Cour : confidentialité, égalité devant la loi, application stricte du Code, présomption de culpabilité, obligation de présenter des preuves et contre-preuves, défense assurée par l’accusé ou assisté d’un confrère, la requérante déroule les motifs d’inculpation :

- Vous comparaissez devant la Haute Cour. Vous êtes accusé d’avoir outrepassé vos fonctions. Vous avez transgressé la loi qui réserve aux seules sorcières, le pouvoir de bénédiction des bébés. Un contrôleur assermenté vous a surpris en train de bénir un nouveau-né, prénommé Arcan et qui plus est, de lui avoir administré une dose de chance hors normes. Malgré votre ingéniosité à effacer l’enfant des listes, il est formel. Il vous a entendu sacrer le nourrisson et a vu le rituel d’ensorcellement. Nous avons visionné ses souvenirs, qui corroborent en tous points ses assertions.

Nous avons suivi le garçon, aujourd’hui âgé de 17 ans, afin de pouvoir prouver vos méfaits et découvrir les effets de votre envoûtement. Enfin, nous avons démasqué votre subterfuge. Vous l’avez pris sous votre aile, capté sa liberté à son insu. Vous en avez fait un surhumain, doté d’une hypervision, pouvoir qui nous est strictement réservé.

Quelles étaient vos intentions? Qu’avez-vous à dire pour votre défense?

 

D’un mouvement éclair, Trekaï se poste au centre de l’allée, contemple la flamme, reflet de son agitation intérieure.

 

- Alors, nous vous écoutons. Percez au moins le mystère. Dans quel dessein avez-vous usurpé cette fonction et par la suite, parrainé ce gamin?

 

La voix rauque de la doyenne stimule sa résolution de prendre la parole...

 

88199033sorciere-jpg

A suivre...

LN

 

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commentaires

C
<br /> <br /> Petit clin d'oeil à notre systeme juridique ou  bien à un procés d'une quelquonque secte ? en tout cas tu nous tiens bien en haleine<br />  quand ce sera finije crois bien que je m'en ferai un petit livre .....<br /> <br /> <br /> <br />
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T
<br /> <br /> bientot un jeu pour la suite...<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> <br /> verdict votre honneur !!???<br /> <br /> <br /> tu parles de présomption de culpabilité, intéréssant, en ce bas monde on parle de présomption d'innocence...la justice des sorcières et celle des hommes...<br /> <br /> <br /> viiiiiiiiiiite la suiiiiiiiiiiite !!<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
T
<br /> <br /> ben oui ils sont plus diaboliques. Bientot un jeu pour la suite:))<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />

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  • : Chatouillement de l'Âme
  • : Au gré de mes états d'âme j'écris des nouvelles en épisode, des haïkus, des phrasés. J'expose mes tableaux, je vous fais partager mes impression sur les films, les expositions, les livres et j'organise des concours de jeux d'écriture, tout ceci sur fond musical. partage de la musique
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